Les travailleurs indépendants alertent sur l’illisibilité du système, tandis que certains fonds de formation sont dans le rouge.
Depuis quatre mois, Chrystelle (témoignant sous le couvert de l’anonymat, son prénom a été changé) bataille pour se faire rembourser sa formation. Travaillant à son compte, cette sophrologue de métier avait effectué en 2020 une demande de prise en charge auprès du fonds d’assurances et de formation de l’Association de gestion du financement de la formation des chefs d’entreprise (Agefice), dont elle dépend, pour se former à l’hypnose.
L’accord de financement lui a été rapidement donné, environ quinze jours après sa demande, mais Chrystelle n’a toujours pas vu la couleur des 1 660 euros. Sa formation s’est achevée en décembre 2020. « Je reçois de temps en temps des demandes de précisions, des documents qui ne leur conviennent pas, alors que toutes les informations y sont, déplore-t-elle. Les autres professionnels qui étaient en formation avec moi ont été remboursés depuis bien longtemps. »
Manque d’information, paperasse à fournir, critères de financement obscurs… Les critiques fusent du côté des 3,5 millions de travailleurs indépendants recensés par l’Insee fin 2017. Artisans, commerçants, libéraux et microentrepreneurs sont perdus dans les méandres du financement de la formation professionnelle. Sur 61 indépendants interrogés par le collectif de free-lances La Collab, qui s’est penché sur leurs difficultés, 45 estimaient mal connaître leurs droits en matière de formation et 41 qu’il restait difficile pour un indépendant de se former.
Une mise en oeuvre compliquée
Pour les travailleurs à leur compte, souvent isolés et privés de soutien dans leurs démarches, le bouche-à-oreille reste le premier canal d’information. « Si je n’avais pas été dans un réseau d’entrepreneuses, je n’aurais jamais su que j’avais droit à une prise en charge », avoue Tiffany Brillard, une designer qui a entrepris deux demandes de formation en 2019 et 2020. Des formateurs démarchent aussi directement les entrepreneurs en leur proposant de s’occuper des formalités : « C’est l’organisme de formation qui m’a aiguillée : je n’y connaissais rien », reconnaît Sophie Saint Blancat, une spécialiste en communication éditoriale qui s’est lancée dans une formation en référencement naturel en 2020. La mise en oeuvre aussi est compliquée. Dans la liste des reproches, le zèle bureaucratique et le manque de transparence sont récurrents. « Cela a été assez long : après un premier mail en juillet, il y a eu beaucoup d’allers-retours, se souvient Claire Marc, cofondatrice de La Collab Marseille, qui a entrepris en 2020 une demande de prise en charge financière pour une formation à la réalisation de podcasts. Mon interlocutrice était très réactive, mais on m’a demandé
énormément de papiers. » Le gouvernement avait pourtant annoncé en 2018 une simplification de l’accès à la formation professionnelle en étendant le compte personnel de formation (CPF) aux travailleurs non salariés. Depuis le 1er janvier 2019 (2020 pour les microentrepreneurs), ce compte est automatiquement alimenté à hauteur de 500 euros chaque année, dans la limite de 5 000 euros, quelle que soit l’activité du travailleur indépendant. Mais cette réforme semble avoir embrouillé davantage un système déjà inintelligible.
Des prises en charge différentes selon les fonds et les métiers
L’ouverture du CPF aux entrepreneurs n’a en effet pas entraîné la suppression des fonds d’assurance formation (FAF) des non-salariés. Avant l’ouverture du CPF aux travailleurs non salariés, un entrepreneur qui souhaitait se former devait exclusivement s’adresser au FAF dont il dépend, afin d’obtenir une prise en charge financière. Fonds pour lequel il acquitte la contribution à la formation professionnelle (CFP) dès le premier euro de chiffre d’affaires. Les prises en charge varient considérablement selon les fonds et les métiers : jusqu’à 3 500 euros annuels par bénéficiaire du côté de l’Agefice, contre 750 euros (hormis quelques métiers) pour le Fonds interprofessionnel de formation pour professionnels libéraux (FIF-PL). Ces fonds continuent de prendre en charge leur formation. C’est la collecte de la contribution à la formation professionnelle, acquittée chaque année par les travailleurs non salariés et qui sert à financer leur système de formation, qui est désormais répartie entre les différents fonds de financement pour les indépendants et le CPF, chapeauté par la Caisse des dépôts.
Une confusion dans le système de financement
Deux systèmes de financement coexistent donc aujourd’hui, créant la confusion, avec chacun ses modalités propres : quand le CPF permet de cumuler jusqu’à 5 000 euros, les fonds de formation continuent d’allouer à chaque indépendant une enveloppe budgétaire annuelle, qui ne peut pas être conservée si elle n’est pas utilisée. Le CPF permet de ne pas avancer l’argent pour financer sa formation (du moment que son coût ne dépasse pas la somme présente sur son compte), contrairement aux FAF de non-salariés. Mais les deux dispositifs peuvent, théoriquement, se cumuler pour financer une action de formation. A la tête du collectif La Collab, Célia Chauvet s’étonne du manque d’information délivrée par l’Urssaf, qui collecte les cotisations formation des indépendants : « l’information est donnée sur les droits de financement par les opérateurs de compétences (OPCO)[les fonds de formation] mais pas pour le CPF », pointe la cofondatrice du collectif. Méconnaissant leur droit au compte personnel de formation, les indépendants continuent de s’adresser quasi exclusivement aux FAF pour obtenir une prise en charge financière. Sur les 61 répondants au sondage organisé par La Collab, seuls huit ont mobilisé leur CPF – la plupart en tant qu’anciens salariés. Le transfert de fonds entre les FAF et le CPF ne semble pas s’être accompagné d’un transfert de demandes.
Formation un des axes de la réforme du statut des indépendants
Les travailleurs indépendants se retrouvent donc face à deux systèmes de prise en charge différents – quand ils n’ignorent pas tout bonnement leur droit au CPF. Et les FAF continuent de supporter très largement le coût de la formation des travailleurs indépendants, alors que l’élargissement du compte personnel de formation aux non-salariés ampute d’autant leurs finances. Sur un total d’environ 28 millions d’euros collectés au titre de la contribution à la formation professionnelle au premier semestre 2020, quelque 3,5 millions sont allés au financement du compte personnel de formation et du conseil en évolution professionnelle, révèle un arrêté du 30 juillet 2020 relatif à la répartition de la contribution à la formation professionnelle des travailleurs indépendants. Dès ses débuts, l’élargissement du CPF aux travailleurs non salariés avait suscité la grogne des FAF, inquiets pour leur survie à terme. « Nous interrogeons sur l’utilité de ce dispositif pour les indépendants », déclarait Philippe Denry, président du FIF-PL, lors d’une convention tenue en juin 2018. Un mois auparavant, l’Agefice avait sollicité les dirigeants des principales organisations patronales pour plaider la cause des FAF auprès de la ministre du travail de l’époque, Muriel Pénicaud. Alors que le gouvernement travaille à une réforme globale du statut des indépendants, qui devrait être présentée d’ici la mi-avril, nul doute que l’accès à la formation soit un des axes abordés.
par Catherine Quignon
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